Traces
1959. Alors qu’elle est n’a que 17 ans, Irene F. Whittome s’inscrit à la Vancouver School of Art (aujourd’hui l’Emily Carr University of Art and Design) pour étudier la peinture sous la direction de Jack Shadbolt.
1963. L’artiste fait un séjour en Europe grâce à une bourse de la Fondation Emily Carr.
1965. Whittome s’inscrit à l’Atelier 17, à Paris, afin de s’initier à la technique de l’eau-forte. Ce procédé, auquel s’ajouteront l’aquatinte et la sérigraphie, sera au centre de sa production artistique de la fin des années 1960 jusqu’au début des années 1970, moment où elle se tournera vers les assemblages, transposés dans l’espace sous la forme d’installations.
Sous-titre : Premières traces
L’artiste s’impose par son travail en série. Ses gestes sont répétitifs et ses œuvres, de plus en plus imposantes. Elles témoignent du temps nécessaire à leur création, ce qui les rend étrangement performatives, une dimension que plusieurs critiques ont notée dans leur appréciation de la démarche de Whittome, qu’ils rapprochent du rituel. La gravure repose sur des techniques qui nécessitent de répéter des actions dans un ordre précis. La poïétique, c’est-à-dire la dimension du « faire », s’y révèle primordiale et annonce, en quelque sorte, l’importance donnée par l’artiste aux processus et aux gestes dans sa pratique subséquente.
1977. L’artiste expose pour la première fois ses Paperworks. Classer, enrouler, lacérer, mettre en boîte, épingler, raturer et hachurer sont au centre de ce corpus et de ses assemblages. Sans finalité rationnelle apparente, la répétition permet probablement une forme de méditation à travers l’acte de création.
2007. Irene F. Whittome s’installe en Estrie, sur le terrain en friche d’une carrière de granit abandonnée qu’elle a acheté en 2003 avec l’intention d’y déménager progressivement son atelier. C’est au fil de ses pérégrinations dans la région, au moment de la réalisation du projet Conversations Adru, que l’idée de s’éloigner de Montréal, où elle demeurait depuis 1968, s’est imposée.
Sous-titre : Traces
Irene F. Whittome parle de ce choix de quitter la métropole comme « d’un tournant du destin », des mots forts qui témoignent de la manière dont elle conçoit sa vie : un mélange d’actes délibérés et d’« incitations » venues d’ailleurs. Depuis, c’est l’aménagement des lieux – tant intérieurs qu’extérieurs – qui a occupé une grande partie de son temps. Au fil de nos conversations, l’artiste m’a confié qu’après toutes ces années à habiter et à arpenter le site de la carrière, elle voit maintenant des œuvres se révéler à elle dans la nature qui l’entoure. Captées par l’appareil photo, ces œuvres montrent des fêlures dans la pierre, des teintes ferrugineuses qui tachent les surfaces rocheuses, des flaques d’eau miroitante qui remonte à la surface du sol. Whittome reconnaît à même le site l’action de la nature qui lui évoque son propre corpus artistique puisant aux techniques de l’impression, hanté par les traces. Elle me parle du sentiment spirituel qui l’habite, du sentiment d’harmonie, d’unité, que ce phénomène de réflexion provoque en elle.
Le passage de l’action à l’écoute, de l’impression – geste délibéré – à l’estampe – qui se dévoile dans l’après-coup –, traduit bien l’essence de son parcours artistique. L’impulsion créatrice s’y est d’abord affirmée sous la forme d’une prise de parole s’imposant sur une scène artistique effervescente et largement masculine ; puis elle s’est progressivement transformée en une posture de retrait fondée sur l’observation et la mise en place de conditions permettant à l’œuvre de se révéler.
Sous-titre : Empreintes
Le geste de Whittome devient ainsi celui de documenter la performance de la nature, où l’œuvre advient par elle-même. Il relève dès lors d’une attention portée aux petits événements qui entourent l’artiste.
A-M. S-J. A.