Fin 1970. La création pensée comme une réponse ancrée dans un lieu précis définit progressivement la démarche installative d’Irene F. Whittome.
Été 1977. L’artiste fait un séjour en Belgique, où elle découvre l’installation de Marthe Wéry aux entrepôts De Klok à Anvers, qui sera déterminante pour la suite de son parcours.
1978-1979. L’artiste réalise pour P.S.1 une œuvre actualisant l’histoire de cette ancienne école louée par Alanna Heiss, fondatrice de l’Institute for Art and Urban Resources. Dès 1971, l’institut se donne pour mandat de réhabiliter et d’investir au moyen d’expositions des lieux laissés à l’abandon. Heiss propose ainsi aux artistes de présenter leurs œuvres en dehors des milieux commercial et institutionnel. Model One–Work at School/Classroom 208 est la première intervention artistique in situ de Whittome ; par la suite, elle la décontextualisera et la retravaillera pour l’exposer sous le titre La Salle de classe (1977-1980). L’œuvre, détachée de son ancrage original – ce que sa présentation sur une plateforme blanche légèrement surélevée met en évidence –, fait maintenant partie de la collection du Musée national des beaux-arts du Québec, qui détient le plus large éventail d’œuvres de Whittome.
1982. L’intervention picturale Room 901, créée dans l’atelier de la rue Saint-Alexandre, et l’ensemble d’œuvres qui en découlent sont exposés simultanément dans trois lieux : l’atelier de l’artiste, la Galerie Yajima, qui la représente, et le Musée d’art contemporain de Montréal. Composée du film 901 / le 4 juillet 1982, de 7 photographies de la série Saint-Alexandre, qui documente différents états de l’atelier à travers le temps, de 22 boîtes de la série La Gauchetière et de l’installation finale, l’exposition combine différentes stratégies pour traduire une expérience esthétique vécue de manière privée, dans le silence et l’isolement.
1985. Sa relation aux lieux prend une importance à ce point fondamentale que l’artiste ajoute l’initiale F à son nom de famille, en écho au fleuve Fraser qui traverse la Colombie-Britannique, sa province d’origine.
1991. Son nouveau patronyme étant officialisé, l’artiste devient légalement Irene F. Whittome.
2003. Whittome acquiert une carrière de granit abandonnée à Ogden.
2007. L’artiste prend sa retraite de l’enseignement, après une implication de près de 40 ans à l’Université Concordia. Elle s’installe de plus en plus à Ogden.
Sous-titre : Ogden
La carrière de granit est probablement l’œuvre in situ la plus imposante et la plus importante de l’artiste. Le site s’offre comme un matériau à façonner en collaboration avec l’action de la nature, et sa transformation est documentée en photos. Whittome, qui le qualifie d’« atelier en plein air », l’arpente quotidiennement et s’en sert comme lieu de cueillette, au sens où elle intègre certaines de ses composantes tel le lichen dans des assemblages éphémères. Les traces de son ancienne vocation sont mises en valeur : un étang habille le trou creusé par la carrière et les morceaux de granit témoignant du passage du temps sont envisagés avec soin au fil du parcours aménagé.
30 mai 2009. Whittome pose un geste radical qui a pour conséquence la fusion de sa pratique artistique et du lieu : elle brûle sur son terrain des fragments de ses œuvres antérieures.
Sous-titre : Autodafé
Disparaissent dans un brasier qui brûlera toute une journée les soies utilisées pour imprimer L’Œil et Narcisse (1969) ; la plateforme et les pôles du Musée blanc, no 5 (1975), ainsi que des éléments accumulés pendant la recherche effectuée pour cette série ; des fragments de l’installation Vancouver (1980) ; quatre sculptures et des composantes du projet Creativity, Fertility (1987) ; la maquette de l’installation Anda / Stupa (1998) ; et d’autres restes, notamment des découpes accumulées pour Conversations Adru (2004). Les cendres du brasier sont ensuite rassemblées pour créer neuf buttes qui rappellent les tumulus funéraires japonais, une tradition propre à ce pays qui fascine Whittome depuis le début de son parcours artistique. La cire de l’encaustique qui recouvrait certaines œuvres ruisselle et s’imprègne dans le sol, les coulisses formant un motif qui restera visible pendant deux ans, avant de s’estomper complètement. Le feu, élément purificateur engendrant un processus de sublimation, ne détruit pas les œuvres ; il en transforme les matières pour rendre perceptible, le temps de l’événement, l’énergie qui les animaient. Un deuxième sens, une deuxième vie, peut ainsi apparaître. En tant qu’œuvre totale, la carrière de granit synthétise plusieurs des avenues explorées par l’artiste durant sa carrière, qu’il s’agisse de la spiritualité, de la fertilité, de l’œuvre in situ ou du soin, lequel s’incarne ici dans les gestes visant la revitalisation et la préservation du site.
Sous-titre : Nouvel espace
C’est notamment de Niki de Saint-Phalle, rencontrée à Paris dans les années 1960 alors qu’elle réalisait sa série Tirs pour s’affranchir de la domination patriarcale, que Whittome me parle en me décrivant son geste : là aussi, la destruction ouvre sur la libération plutôt que sur la disparition, elle est féconde plutôt que vaine, elle est manifestation d’énergie vitale plutôt que de violence gratuite. Ce feu, Whittome l’a vécu comme un apaisement ; elle a ainsi pu se délester d’un bagage qui n’avait plus d’utilité pour s’ouvrir à d’autres possibilités.
A-M. S-J. A.