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Tortue

Le motif de la tortue apparaît très tôt dans la pratique d’Irene F. Whittome. Elle raconte que, dès les années 1960, il revient souvent dans ses rêves aux côtés d’étranges chimères, moitié oiseaux, moitié bêtes. Un événement cependant consacre sa présence et son rôle dans sa pratique. En 1988, alors qu’elle se trouve en Californie, l’artiste participe à un voyage initiatique. Accompagnée d’un guide, elle se rend sur les pics de la chaîne de montagnes Panamint, dans la vallée de la Mort, afin d’y passer la nuit. L’ascension est difficile et plusieurs membres du groupe préfèrent établir un camp de base à quelques centaines de mètres du sommet. Alors que la nuit tombe, Whittome se décide à grimper les derniers mètres seule. Là, désorientée, tutoyant les étoiles, elle voit apparaître la figure de la tortue. Elle en fera son animal totem. 

La symbolique de cet animal dans les cultures autochtones d’Amérique du Nord permet de décrire le parcours aussi bien artistique qu’existentiel de l’artiste : la tortue représente à la fois le nomadisme de Whittome, sa capacité à se réinventer d’un lieu à l’autre et son inéluctable cheminement. Dans nombre de mythes autochtones de la création du monde, elle porte sur son dos non seulement sa maison, mais la terre même. Flottant au milieu d’un océan infini, elle est l’île primordiale. Étrange île et étrange maison, en ce que la tortue est nomade. Celle-ci représente ainsi ces moments où Whittome, de Vancouver à Paris, de Montréal à l’Estrie en passant par Tokyo, a su emporter avec elle l’essentiel, puis se réinventer et transformer sa pratique. 

L’artiste raconte pourtant que la tortue n’est pas le premier animal qui lui est apparu durant cette nuit fondatrice. C’est d’abord une licorne qu’elle a tracée dans les étoiles. Mais le guide autochtone, moins familier avec cette représentation plus populaire et européenne, l’en aura détournée. 

Dans la tradition hermétique, la licorne possède des connotations puissantes. Si sa symbolique est double et hermaphrodite, elle est malgré tout de bon augure. La licorne représente le mercure, métal féminin en raison de la fluidité, et la puissance masculine, en raison de sa corne. Ne pouvant être chevauchée que par une vierge, elle signifie, dans les traditions initiatiques, la pureté et la vie spirituelle, sa corne fonctionnant comme un troisième œil. À la fois imaginaire et réelle, elle permet le passage du monde physique à la révélation divine. 

Irene F. Whittome a embrassé les deux totems, portée autant par la tortue que par la licorne. Celles-ci nous rappellent sa sagesse et son hermétisme, son nomadisme et sa force, son rôle de passeuse et sa volonté de donner sens au chaos.

M. C.