Silence
En s’installant sur son « île », Whittome s’est écartée du bruit constant de la ville et de la rumeur insistante du monde de l’art. Comme dans toute séparation que l’on s’impose, elle recherche une tranquillité qui est d’abord liée au retrait. Son isolation relative, la dimension volontaire de celle-ci, est en ligne droite avec la poursuite d’un raffinement spirituel auquel certaines religions ont rattaché le silence, notamment depuis le XVIe siècle, où sont apparus les écrits mystiques de Saint-Jean de la Croix, pour qui « c’est seulement le silence que l’âme entend » (Élisabeth Reynaud, Jean de la Croix : Fou de Dieu, Paris, Grasset, 1999, p. 93). Mais pour Whittome, il s’agit moins d’une question de foi que d’une quête dans laquelle l’écoute éprouve la matière pour élaborer un univers où les sens créent l’expérience.
L’exigence du silence implique souvent un effacement. Il en appelle au neutre, à la disparition. Dans le champ de l’art, le silence peut engendrer une fertilité accrue : il n’est qu’à voir les œuvres que l’artiste continue de produire et avec lesquelles elle dialogue. Whittome dit que parler, c’est perdre de sa force. Elle ne s’est pourtant pas totalement soustraite au monde, et son existence se distingue de celle de l’ermite : dans son atelier, sa maison, elle reçoit ses amis, ses proches du milieu de l’art, des chercheurs qui veulent étudier le fruit de sa pratique. Ces visites sont toutefois rares, et elle a longtemps tenu à s’effacer de la parole que s’autorisent ceux qui écrivent sur son art pour l’interpréter. Si elle accepte aujourd’hui de s’ouvrir sur sa vie spirituelle, ce n’est pas seulement pour répondre à un manque ; c’est parce que sa parole sait conserver sa part d’obscurité, d’ouverture. Les silences d’Irene F. Whittome ne sont pas de ceux qu’il faut briser. Ils tiennent au secret et visent à transmettre l’inaccessible quotidien de l’artiste.
On l’aura compris, il est impossible d’aborder ce silence sans faire le jeu de l’artiste : une compréhension fine de sa pensée silencieuse ouvre la possibilité de la joindre dans sa manière de ne pas dire.
Le silence borde la solitude, elle-même érigée au rang d’art. Le silence parle ; en somme, on ne peut le faire taire. Pour paraphraser Maurice Blanchot, se taire, pour l’artiste, c’est parler encore. C’est surtout laisser (ad)venir.
B. L.