Bibliothèque
Perchée sur une mezzanine au-dessus de l’atelier, la bibliothèque d’Irene F. Whittome se compose de tables basses, de bancs en bois et de plusieurs centaines de livres empilés sur le sol. Cet aménagement sculptural est le lieu de découvertes inattendues. Les tours de livres, chancelantes, côtoient une série d’objets hétéroclites : des bols tibétains, des statuettes orientales, un immense coquillage nacré, une coupe remplie de lichen séché, deux lumières industrielles. Cette réunion d’objets atypiques, caractérisés par la singularité de leur puissance évocatrice, permet à la bibliothèque de transcender son usage commun et quotidien. Celle-ci doit être pensée en conséquence, c’est-à-dire par-delà sa fonction utilitaire. Elle est œuvre d’art.
Au centre, une petite table définit un espace de travail ; posée sur un tapis persan, elle est entourée de quatre chaises. La bibliothèque permet de décliner les gestes créatifs : elle est simultanément un espace de lecture, de rencontre et d’idéation. Comme la méditation ou le tirage des cartes, la lecture permet moins d’encadrer les moments de création que de les intégrer dans la journée. Véritable pont tendu entre l’art et le quotidien, la recherche appartient pleinement au régime de l’art : c’est elle qui alimente les œuvres.
À partir des livres contenus dans la bibliothèque – véritables matériaux de travail –, Whittome mène une seule et même recherche, à la fois personnelle et ésotérique, portant sur les forces cachées qui organisent notre univers, dont l’ensemble de textes, d’images et d’objets nous donne la mesure de l’étendue théorique. Les ouvrages portant sur l’alchimie, l’astrologie, la numérologie ou la spiritualité orientale dessinent une constellation à laquelle viennent se greffer des ouvrages sur la botanique, des livres d’art et des œuvres littéraires.
En l’absence d’organisation alphabétique, chronologique ou thématique, la classification dans la bibliothèque paraît s’élaborer de manière organique, au fil des allées et venues quotidiennes. Cette organisation fluide et aléatoire permet les rencontres insoupçonnées. Beckett se trouve aux côtés de Campbell ; Proust côtoie Lynch. Les idées émergent de la bibliothèque par le biais d’associations libres : il faut se saisir de ce voisinage fécond et fugitif.
« Tout part de là », dit simplement Whittome, et il faut comprendre que la bibliothèque est le point de départ des idées qui traversent son univers et atterrissent dans ses œuvres. Tenant à la fois des mondes matériel et immatériel, la bibliothèque réconcilie les dimensions physique et idéelle du projet artistique de Whittome. Ce rassemblement de livres et d’images tient de la clé de voûte : il contient, en lui, les pistes pour décrypter le réseau d’idées qui alimente la création. Nous entrons dans la bibliothèque comme dans les coulisses d’Ogden : nous voilà derrière le décor et ses images, là où apparaissent les ficelles conceptuelles qui assurent la cohérence interne de l’univers, en reliant les éléments.
A-J. R.