Granite
Autour de ces immenses monolithes de granite, le paysage change. Au fil des saisons, les feuilles passent du vert à l’orangé, elles flétrissent, puis tombent. Au fil des années, de nouvelles branches apparaissent ; les fougères et autres espèces indigènes se multiplient, s’appropriant lentement le territoire d’Ogden. Le granite, lui, demeure immuable. Exceptionnelle figure de stabilité au sein d’un paysage en perpétuel mouvement, il nous rappelle que le cycle de vie des pierres n’a rien à voir avec celui des vivants. Le changement, destin inéluctable de l’organique, n’atteint pas le roc.
Vestiges de l’histoire des lieux, les pierres nous rappellent qu’avant d’être habité par Whittome, le site d’Ogden était une carrière de granite. Dans ce temps long, ce temps suspendu, la pierre nous préexiste et nous survit. Sa stabilité sécurise et rassure. Singulière, la puissance spirituelle du granite tient à son caractère unique au sein de l’écosystème d’Ogden : il en est le seul ancrage solide. Se trouvant toujours là où on les attend, les pierres viennent ponctuer le territoire où elles assument le rôle de balises.
Sur ces fondations minérales s’étend un réseau de taches circulaires allant de l’ocre au vert bleuté. C’est le lichen qui vient coloniser la pierre. Traçant des constellations organiques par-dessus les marbrures et les veines du granite, il foisonne et exemplifie les constantes métamorphoses du vivant. Ainsi la relation entre le granite et le lichen prend la forme d’un étrange mariage en opposition, d’une harmonie contrastée qui nous rappelle l’articulation impossible des rythmes cadencés du végétal et du temps quasi immobile du minéral.
Et pourtant, en dépit de cet équilibre en tension, le lichen a plus en commun avec le granite que ce qu’il y paraît. Tout comme les masses de pierres qu’il lézarde, il résiste au passage cyclique des saisons. À mi-chemin entre le végétal et le fongique, cette forme de vie atypique se fait symbole de résilience. Le lichen trace son réseau organique même sur les surfaces les plus inhospitalières — il naît, et survit, même au milieu des territoires les plus arides. À bien y penser, l’existence immuable du granite et la résilience acharnée du lichen représentent deux manières similaires de traverser le temps.
A-J. R.