Ésotérisme
Septembre 2022. Au Musée national des beaux-arts du Québec se tient une journée d’étude consacrée à Irene F. Whittome, pour laquelle s’est déplacée une poignée de commissaires d’expositions, de conservateurs de musée et d’historiens de l’art qui, dans le passé, se sont penchés sur son travail. Tous se sont réunis en l’absence de l’artiste, pour qui laisser sa place dans la discussion est devenu un modus operandi. Lors de la période de questions, la conversation s’engage sur l’importance de ce qui est considéré, à défaut de mieux, comme la part ésotérique du travail de Whittome, laquelle est repoussée de la main par deux éminents historiens de l’art qui invitent d’autres penseurs à l’investir.
Ce n’est pas ignorer la nature profonde de la pratique de Whittome que de fermer cette porte. Les deux historiens de l’art ont chacun contribué à en éclairer des pans entiers. Ils réitéraient, à travers cet appel, ce qu’il faut voir comme une frilosité de l’histoire de l’art à embrasser ce qui s’éloigne d’une pensée théorique dont les résultats doivent demeurer mesurables. Personne n’ignore, dans l’assemblée des présentateurs, que l’univers d’Irene F. Whittome est fait de tarot, de numérologie, d’alchimie et d’un silence qui frôle la mystique. La spiritualité est une des assises de son art.
La bibliothèque de Whittome est gorgée de titres qui confirment son intérêt pour ce domaine qu’elle documente avec ferveur. Parmi ces titres ressort Alchimie et mystique édité chez Taschen (2006), dont le sous-titre, Le musée hermétique, recoupe un de ses champs d’investigation. On a l’impression que chacune des pages est ornée de Post-it débordant de la tranche du livre, dévoilement d’une étude assidue. On se souvient que l’artiste a revisité le thème de la collection dans les multiples itérations du Musée blanc, dès 1975.
La présence de ce livre confirme qu’il y a bien, dans cette contraction entre le musée et un sens du sacré que traduisent les œuvres, quelque chose à quoi s’accrocher. Or, cela exige tout de même de faire un pas de côté, au moment où l’occulte regagne des lettres de noblesse grâce à la figure de la sorcière, que la littérature récente a revalorisée à travers le féminisme et l’écoféminisme, notamment dans les travaux de Mona Chollet, et que les arts visuels ont réinvestie, que l’on pense aux œuvres de Laura Gozlan ou, plus près de nous, d’Annie Baillargeon. L’intérêt de certains artistes notamment pour l’alchimie (Paul Mignard) ou le vaudou (Myriam Mihindou), de même que la résurgence du motif du fantôme, omniprésent depuis quelques années, confirment ce que des autrices comme Sylvette Babin ont vu comme « un tournant occulte de l’art » (esse arts + opinions, printemps 2022, no105, p.7). Whittome prend indéniablement part à ce mouvement.
Ce pas de côté, au creux de l’approche de Whittome, demande d’épouser un savoir alternatif dans lequel il s’agit moins de ranimer ce que le pouvoir colonial a rejeté, donc moins d’ériger un contre-pouvoir, que d’investir un sens du labeur, de la dépense dirait Bataille, et ce, même si les œuvres de l’artiste partagent la dimension critique des pratiques contemporaines qu’elles anticipent en quelque sorte. La propension à la répétition et à l’accumulation dans Le Musée blanc pointait déjà vers la notion de sacré. Avec la numérologie, le tarot et l’alchimie, Whittome ritualise la création pour lui permettre, en retrait, de regarder autrement le monde.
B. L.