Alchimie
L’alchimie tire son origine de théories gnostiques remontant à l’Antiquité, redécouvertes en Europe grâce à la traduction, en 1463, du Corpus Hermeticum par Marsile Ficin. Elles soutiennent que l’évidence des choses et des objets masque leur potentielle transformation, leur puissance : même les matières les plus simples peuvent se sublimer en une structure nouvelle. Le plomb est de l’or en devenir. Si toutes les matières sont potentiellement nobles, elles le sont donc toutes déjà ; c’est notre regard qui doit changer.
La pierre n’est pas cette simple masse, là ; et cette fleur, une simple décoration à mettre sur la table. Les matières indiquent l’horizon possible de leur transmutation par leurs caractéristiques, leur apparence, leurs vertus. Le mercure est une des matières par excellence des alchimistes de la Renaissance parce qu’il est le seul métal liquide. Paracelse prétend que ce corps est féminin et affirme qu’on peut le combiner avec le soufre, corps masculin évoquant le feu. La puissance de l’alchimiste ne vise qu’à laisser s’exprimer celle des substances qu’il manipule.
En distillant, en épurant, en brûlant, les contraires s’assemblent et s’articulent entre eux : le masculin et le féminin, le minéral et le végétal. Chez Irene F. Whittome, ce pouvoir de transmutation de la matière est partout représenté ; la cire d’abeille incarne bien ce passage du floral à l’organique, puis du végétal à l’igné.
L’alchimie est une immanence. De ce fait, si elle présume que le monde est doté d’une énergie, celle-ci ne se trouve pas au-dessus de soi, mais au creux des choses et des êtres. Voilà bien pourquoi, dans l’ambition des alchimistes de la Renaissance de trouver la pierre philosophale, celle-ci se révèle surtout dans la représentation de cette connaissance nouvelle et décentrée.
Ces processus de transformations ne se limitent pas à la matière ; ils symbolisent et métaphorisent aussi un changement en soi. Comme le formule l’étrange et mystérieux Hermès Trismégiste, référence centrale des sciences hermétiques : « au ciel comme sur la terre ; et sur la terre comme en soi ». Si le plus petit ressemble au plus grand et si le plus grand sait influencer le plus petit, l’alchimie est non seulement une affaire matérielle, mais tout aussi bien la représentation d’un travail de transformation de soi. On retrouve ainsi, dans les cernes annuels des arbres et dans la manière dont le bois sec se fend jusqu’à son cœur, la figuration de l’ordre du cosmos et des événements qui nous bouleversent. Mais tout aussi bien, ils racontent la manière dont certains événements extérieurs nous atteignent au creux de notre intimité et réorganisent la totalité de notre existence.
On doit à Jung de l’avoir formulé le plus clairement : « Pendant qu’il travaillait à ses expériences chimiques, l’adepte vivait certaines expériences psychiques qui lui apparaissaient comme le déroulement propre au processus chimique. […] Il vivait sa projection comme une propriété de la matière. Mais ce qu’il vivait était, en réalité, son propre inconscient » (Psychologie et alchimie, p. 319). Pour Jung, l’alchimie est mue par un processus d’individuation visant, par les mêmes procédés de distillation et de purification que l’on applique à la matière, l’émergence du soi. Tel est l’apprentissage de l’alchimie.
M. C.