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Imagination

Comprendre, c’est mettre ensemble. C’est agencer et créer de nouveaux assemblages de signes. Comprendre, au fond, c’est réordonner et révéler. Whittome, à associer plantes et astres, arbres et pierres, feu et art, fait apparaître des liens discrets, parfois secrets, entre ces ordres de choses ; par association, elle crée des accords autant qu’elle les retrouve, et rend manifeste ce que l’écriture du monde a peut-être oublié, omis ou gardé séparé.

Qu’est-ce qui lie la carte de Tokyo et les phases lunaires, par exemple ?

Rien, aurions-nous tendance à croire d’abord. Une telle association est contingente, fragile, équivoque (comme l’art ou la beauté).

L’œuvre de Whittome pourtant pointe du doigt ce que la cartographie tend à oublier, la façon dont les astres, au-dessus du territoire, observent et commentent le monde à leurs pieds. D’où cette proposition étrangement évidente : pourquoi ne pas surajouter à la carte d’un territoire celle de son ciel et le parcours de la lune, dont on sait l’incidence sur les eaux et les humeurs ? N’est-ce pas présenter de manière plus entière ces rapports secrets, à l’échelle parfois inhumaine, qui s’exercent sur nous ?

Soigner présume aussi de ces rapports secrets. Entre le champignon et la bactérie, la teinture sèche et la plaie humide, le millepertuis et la tristesse, deux ordres d’éléments, pourtant si éloignés dans l’architecture du monde, se lient. Et pour tous ces troubles pour lesquels nous n’avons toujours pas de remède, il reste encore à chercher, à mettre en commun, à retourner dans les savoirs anciens pour confectionner l’invention.

*

Je discute de tout cela avec Julien, qui m’a récemment accompagné à Ogden. Il me confie que ces relations qui se déploient dans les œuvres d’Irene, il les trouve aussi belles que mélancoliques. Si elles créent du lien entre des ordres, des choses pourtant séparées, elles ne le font que le temps de l’art. À laisser l’univers reprendre ses mesures, la magie se dissipe entre nos mains, et il ne reste que ces pièces de bois, ces plantes, ces astres désormais esseulés, eux aussi. Des éléments qui, sans la puissance de l’œuvre, reviennent à leur état de plomb.

Nous avons besoin, ajoute-t-il, de ces œuvres qui opèrent cette magie pour la simple raison qu’elle nous offre une vision du monde rassérénée, à la condition d’avoir, sortilège dans l’œil, l’objet en présence. Heureusement, par la force de sa manifestation, l’œuvre d’Irene tend à rester en mémoire et à agir de manière différée comme remède à la mélancolie.

La soirée s’avance et la discussion se déploie. On parle alors d’Agamben, de ses belles pages sur la mélancolie, du fait que les mélancoliques sont des travailleurs pour qui l’impossible n’est pas une fin, mais un engagement, une quête ; et qu’une quête, ce n’est pas quelque chose qu’on aspire à terminer, elle loge au creux de nous comme une promesse.

La discussion se termine et, dehors, les étoiles brillent d’un éclat particulier, teinté de la mélancolie et de la promesse d’Irene.

M. C. et J. L.